L’art comporte des épines
Lorsque l’on a passé beaucoup de temps dans les bars à parler de littérature, et en particulier de littérature japonaise, il y a des noms du siècle précédent qui reviennent avec insistance, si ce n’est parce que ce siècle disparu est un intervalle de temps où le moine de bar a passé une grande partie de sa vie…
Tanizaki, Kawabata, et … Mishima.
Du premier, tout a été traduit ou presque, voire pour certains textes, traduit plusieurs fois… Du second, les mauvaises langues diront que beaucoup est à retraduire, dont une certain danseuse du côté d’Izu… Mais ce sont là projets pour grandes maisons avec pignon sur rue et contrats en cours.
Il reste Mishima. Ses romans sont publiés en France par un éditeur à couverture blanche qui est même, pour beaucoup d’écrivains, L’Éditeur. Et traduits par une plume que certains, et le moine de bar en fait partie, considèrent comme un modèle.
Donc rien non plus là, qu’un éditeur petit et famélique, ou un moine ivrogne, puisse mener à bien. Mais en cherchant bien, un soir dans les ruelles de Jimbochō, le quartier des libraires d’ancien, le moine de bar tomba sur un vieil exemplaire de l’hebdomadaire Shūkan Asahi de 1963 (Showa 38)
Consacré à la rupture entre Mishima et la troupe théâtrale Bungaku-za la même année à propos de sa pièce Le Koto du bonheur, dont l’action se passe à l’intérieur d’un commissariat aux prises avec un accident volontaire de train aux protagonistes éminemment politiques… Or, depuis longtemps, le moine de bar s’interrogeait pour savoir si cet évènement n’avait pas été un rouage essentiel dans le processus qui aboutirait des années plus tard à un paroxysme marqué par le sabre.
Tout en regardant les bulles qui s’échappait de son verre de Awa, le nihonshu pétillant de la maison Hakkaisan, le moine de bar nota alors que Le Koto du bonheur n’était traduite en aucune langue. Et que la dernière pièce de Mishima, La Terrasse du roi lépreux, sur la destruction du corps, et qui apporte elle aussi — au moins autant que la tétralogie de La Mer de la fertilité — un éclairage particulier sur la fin de Mishima, avait une version américaine mais pas de traduction française.
Tandis que l’essai fondamental, L’Art comporte des épines, qui traite cette rupture était également en attente de traduction…
Ce fut le début d’une longue histoire…
Dont nous passerons les détails, si n’est que quelque part nous sommes fort redevables à l’éditeur évoqué supra, mais que nous avons rencontré quelques surprises du côté de Londres…
Mais aussi le soutien attentif de la Fondation du Japon, que nous remercions ici.
Enfin, après bien des labeurs, Atelier Akatombo vient d’envoyer, le 15 février, à l’imprimerie les document pour deux livres, l’un consacré à certains essais de Mishima sur le théâtre — dont cet essai central L’Art comporte des épines — tous inédits en traduction.
Et l’autre contenant quatre pièces, Jeunesse, lève-toi et marche !, Un nid de termites, Le Koto du bonheur, La Terrasse du roi lépreux pour la première fois en version française, et pour les trois premières pour la première fois en version non japonaise.
Un coffret réunissant les deux ouvrages est en cours de fabrication et tout cela sera disponible chez votre libraire d’ici quelques semaines.
Notons que malgré le côté bénédictin du moine de bar, tout ceci n’aurait pas été possible sans les directeurs d’ouvrage — et traducteurs —, Thomas Garcin et Corinne Quentin, les conseils avisés du romancier Keiichiro Hirano, et le travail des traductrices et traducteurs, par ordre alphabétique, Anne Bayard-Sakai, Patrick De Vos, Alice Hureau et Cécile Sakai.
Mais en pensant à cette aventure, le moine de bar ne put s’empêcher de noter quand même que, pour lui, les épines que l’on trouve dans l’art ne sont que peu de choses comparées à celles auxquelles on se frotte dans le monde de l’édition…